Dix-huit cent cinquante-six : Neuf ans, cela semble la période qui
sépare ces deux « Carri ». Nos archives nous apprennent qu'à cette
date, le chemin de rondes a été élargi au bord de l'Auzon, que
l'esplanade de la porte de Mormoiron avec sa fontaine ne manque pas de
charme, qu'un jardin public planté de platanes agrémente l'arrivée du
chemin de Carpentras. Mais nous n'avons pas trouvé de trace de
manifestations intermédiaires et c'est sur un manuscrit de la
Bibliothèque Inguimbertine de Carpentras (Archives 1087, folio 158,
verso), que Barjavel nous apprend cette date puisqu'il écrit à propos
du Carri qui s'est déroulé en mai : « Sur une affiche de la mairie de
ce lieu (Mazan), datée du 27 avril 1856, j'ai lu ce mot écrit le «
Carrick » ».
Il donne ensuite sa version des festivités, cependant il ne semble pas
avoir assisté au Carri, car ces renseignements sont tous différents de
ceux déjà décrits.
Voici intégralement ses propos :
« La famille Ripert conserve, de père en fils, les statuts du Carri,
qu'on ne laisse jamais copier. A Mazan, le premier dimanche de mai, on
célèbre de temps à autre une très ancienne fête burlesque dite « Lou
Carri », parce qu'on y fait figurer un char dit Seigneurial ou du
Seigneur de Saint-Andiol, attelé d'une foule de chevaux ou mulets qu'on
fait aller, en courant, de Mazan au quartier rural de Notre-Dame du
Bon-Remède (non loin du pont de l'Auzon) entre ce pont et Mazan. Sur ce
char est monté un personnage qui joue le rôle de Seigneur du lieu,
entouré de sa cour, de ses officiers et d'une nombreuse cavalcade. Il y
a un brouhaha, des propos grotesques, avec lecture faite par le
seigneur ou son lieutenant, des statuts ; on y défend certaine chose et
le seigneur a le droit de faire couper toutes les branches qui
entravent sa marche. Cette fête se poursuit par un déjeuner à
Notre-Dame du Bon-Remède et l'on revient dans le même ordre à Mazan ».
Barjavel porte en note au bas de sa feuille :
« Un François des Bernards sieur de Saint-Andéol était premier Consul
de Mazan en 1725 ; serait-ce en dérision de se seigneur qu'aurait été
institué le Carri ? ».
Il ajoute ensuite :
« A Pernes, on fait aussi à la même époque le Carry (mot que j'ai vu
ainsi écrit sur une affiche municipale de cette commune datée du 21
avril 1859 et annonçant la fête pour le premier dimanche de mai) ».
pour reprendre ce dernier paragraphe nous n'avons qu'à recopier Pierre
Fayot et Camille Tiran dans leur livre « Mazan » et écrire :
« Nous savons que cette fête était connue aussi à Pernes puisque
Giberti, ce Viguier qui écrivit l'histoire de sa ville au XVIIIéme
siècle, raconte celui qui l'a vu, composé d'un seul char triomphal,
tiré par 32 bêtes des mieux harnachées et sur lequel trônait le roi
d'un jour.
En 1741, Giberti pense que cette tradition, attribuée à la confrérie de
Saint Eloi, est si lointaine, qu'il ne peut en indiquer l'origine ».
Après cette digression historique et nécessaire, reprenons le cours des
déroulements des Carri de Mazan.
Dix-huit cent cinquante-huit : cette fois, c'est une affiche de couleur
rose qui nous apprend que le CARI (encore une nouvelle orthographe), se
déroula le 9 mai et le lendemain lundi.
Affiche qui nous donne également le programme des festivités qui
accompagnent le défilé.
Nous donnons ci-après une partie du libellé de cette affiche. « Par la
permission de Monsieur le maire Seigneurie de Saint-Andéol : Cari de
Mazan, le 9 mai et le lendemain lundi avec courses des chevaux, des
mulets, des ânes »(ces courses sont suivies de leurs prix).
Nous lisons ensuite :
« Une écharpe frangée d'or pour les 3 sauts, un magnifique foulard pour
la course des hommes, une blouse tout à fait convenable (sic) pour la
course des femmes, sans oublier un énorme gigot pour la course des
chiens" ».
Suit un texte que nous recopions en entier :
« Le char seigneurial, précédé de sa
nombreuse cavalerie, suivi des
fermiers des escargots et des hannetons (Tavans), du grand joueur de
guitare, des graves et imposants visiteurs de
flasques,etc.…etc.…,partira de la place de l'esplanade à 8 heures
précises, pour le Bon-Remède, lieu ordinaire de déjeuner champêtre. Les
étrangers trouveront partout et notamment auprès de sa seigneurie,
bienveillant accueil, fait au château de Saint-Andéol le 25 avril
1858.
Le Viguier De Josselme
E.de Vidal pour le
Seigneur,
Le
secrétaire de Pellen »
Nous apprenons par cette affiche : que le seigneur s'appelait Josselme,
le viguier Vidal et le secrétaire Pellen. Il est évident que les « de »
qui précèdent chaque nom ne sont là que pour faire un peu plus noble.
On parle aussi des visiteurs de flasques et du ménestrel, « le grand
joueur de guitare ».
Quand au château de Saint-Andéol : mystère !
Celui-ci n'ayant jamais existé, nous ne pourrons jamais savoir où ce
trouvait la demeure, pompeusement baptisée château, et où fut rédigée
cette affiche. Nous signalons pourtant l'existence d'une ferme bâtie
sur un site romain au milieu du quartier dit de Saint-Andéol.
Après ce Carri de 1858, nos recherches restent sans résultat et nous
n'avons plus retrouvé de témoignage qu'en l'année 1889, 31 ans après !
Nous sommes pourtant convaincus que d'autres « Carri » ont eu lieu dans
ce laps de temps. Quelques personnes très âgées de Mazan nous ont
rapporté que leur parents ou grands-parents avaient été témoins dans
leur jeunesse de cette journée, mais nul n'a pu donner de date précise.
Seul un auteur en 1869 écrit un article sur le Carri, il s'agit de
Louis de Laincel dans un petit ouvrage « Voyage humoristique dans le
Midi », mais comme Gilberti, il décrit le Carri de Pernes et de plus il
emploie le passé.
« le premier mai, une fête bizarre se célébrait dans cette petite
ville, on y faisait courir le carri (char ou chariot) traîné par trente
ou quarante mulets. Le carri consistait en une charrette ornée de
rideaux de filoselle jaune et de branches de peupliers : il contenait
des musiciens, un roi et son lieutenant siégeaient sur le devant
dans de grand fauteuils.
Une cavalcade nombreuse précédait le carri et l'un des chevaliers
portait un drapeau où figuraient les emblèmes de l'agriculture. Le
cortège faisait 3 fois le tour de la ville ; puis au galop , se
dirigeait vers un but donné ; le premier arrivé gagnait un prix. Une
seconde représentation avait lieu le dimanche suivant ; mais au lieu de
chevaux et de mulets, on employait que des ânes, soit pour atteler le
carri, soit comme bêtes de course. Le roi et son lieutenant étaient
tenus de donner un festin à tous les cavaliers qui avaient concouru ».