Dix-neuf cent
quarante-huit - Dix-neuf cent quarante-neuf: Il n'était pas pensable que le
Carri ne survive à la deuxième guerre mondiale. Les
longues années de privation passées, quand les
blessures morales furent un peu atténuées, la
population éprouva un besoin d'activité et de reprise
de confiance en elle-même. Mazan marqua le renouveau de
l'après-guerre en reprenant la tradition du Carri.
Pour
ce Carri de 1948, on avait l'expérience des
participants de 1928 qui reprirent du service. On avait conserver
une multitude de documents et on avait la foi, cette foi qui
soulève les montagnes.
Dès les
premières réunions, ce fut la certitude d'obtenir une
parfaite réussite.
Des commissions furent
formés :
Les finances, la
publicité, les costumes, tous les chevaux furent
recensés et presque tous furent gracieusement mis à
la disposition des organisateurs. Une fois encore, l'époque
Louis XV fut retenue à cause de la beauté des
costumes.
Lors de la distribution des
rôles, on eut quelques difficultés à
désigner un seigneur.
Contrairement aux «
Carri » passés, personne ne fut candidat et il fallut
solliciter plusieurs Mazanais qui, par modestie ou pour toute autre
raison, se récusèrent.
Finalement, Jean Marcel, dit
« Malachi »,accepta de représenter
Messire
de Saint-Andiol. Ce qu'il fit d'ailleurs avec beaucoup
de prestance.
Déjà
mousquetaire au Carri
précédent, il ne fut pas surpris par toutes les
préparations de la fête. Propriétaire
exploitant, il habitait et habite encore aujourd'hui une ferme
route de Blauvac, quartier du Laquet.
Nous allons, comme nous
l'avons fait pour le Carri précédent, donner les noms
de quelques participants. Nous ne pouvons pas citer tout le monde
car la lecture en serait fastidieuse, et nous risquerions d'oublier
quelqu'un. Nous donnons ci-après les noms des acteurs qui
occupèrent les rôles qui nous paraissent les plus
typiques.
Le seigneur : Jean Marcel
avait pour page le jeune Montagard Jean-Louis maintenant chef de la
philharmonique mazanaise.
Le
seigneur des escargots : Conil Marc avait pour page sa fille
Mireille.
Le seigneur des hannetons :
Largaud Amédée avait choisi pour page son fils
Pierre.
Le grand viguier était
Calamel Léon et le greffier Anrès Abel.
Une
photographie de leur
sortie de la poterne du château des Causans nous les
montre dans leur somptueux costume et il faut reconnaître
qu'il ont tous très fière allure.
En 1948, comme à
l'accoutumée, on avait invité le Capoulié du
Félibrige qui, à cette date été Mistral
Frédéric, le neveu du grand poète. On peut
d'ailleurs le voir sur la même photo.
Dans son discours,
évidemment en provençal, il traita des tradition et
des coutumes populaires villageoises ; une phrase résume sa
doctrine :
« Un pople senso
tradissioun es un pople bastard ». Un peuple sans tradition
est un peuple bâtard : phrase logique et
évidente.
Dans la mesure du possible,
les fils prirent la place de leurs pères. Exemple : le
postillon à pied, Meysen Léon, remplaça sont
père François.Les acteurs
qui avaient grandi se virent attribuer de
nouveaux rôles tels deux des pages de 1927 et 1928, Conil
François et Maurizot Louis, que nous retrouvons cette fois
visiteurs de flasques en compagnie de Reynaud Joseph.
Il y a aussi des personnages inchangés : le
porte-étendard Payan Fernand, le postillon à cheval,
Légier Marcel, le très populaire charretier Peytier
« Tôni » et son aide qui veille à la barre
du frein, Jouve Léon.
Nous avons deux nouveaux participants : Constantin Raoul et
Josselme Marcel dit « Larrion », tous
deux mesureurs de
chemin.
La musique était dirigée par Montagard
Léopold, les tambours à pied et les trompettes
à cheval par Tiran Louis. Pour composer la chanson du Carri,
on fit appel à un grand musicien qui s'il n'était pas
Mazanais, en avait le cœur : Carle Burle. Il composa musique
et paroles de la splendide chanson du Carri, chanson
interprétée par les ménestrels
Goubert
et Fanelli. Enfin, deux magnifiques
vivandières : les sœurs jumelles Andrée et
Roselyne Rogier agrémentèrent le défilé
de leurs charmants sourires.
Le déroulement des festivités fut parfait : la sortie
du seigneur et de sa cour, la présentation de
l'étendard, le départ du cortège vers le
Bon-Remède. Tout se déroula dans un ordre parfait, la
messe célébrée par l'abbé Mathieu,
curé de Mazan, fut un modèle du genre ; les
fidèles étaient nombreux, ce qui n'empêcha pas
une évidente ferveur.
Au repas officiel, le « seigneur des escargots »
présenta, en un magistral discours, son plat de «
cacalaouso ».Le trio des joyeux drilles des visiteurs de
flasques amusa les pique-niqueurs jusqu'à l'heure du retour
et malgré le bien-être de toute l'assemblée, il
fallut revenir à Mazan où une dizaine de milliers de
spectateurs attendaient impatiemment le retour du « Carri
».
Tout alla bien pendant le premier tour de la ville mais au moment
d'aborder le second, ce fut l'ondée, si bien que chacun dut
courir chercher un abri. Le beau temps revenu, tout se termina
comme prévu par l'ouverture du bal par Messire de
Saint-Andéol.
Dix-neuf cent quarante-neuf
: comme en 1846-1847, comme en 1927-1928, on fis un bis.
Tout avait si bien marché l'année
précédente, qu'il restait un peu d'argent, et les
participants s'étaient promis « de remettre ça
» et on remit ça.
Pour « changer un peu », on choisit l'époque
Louis XIII et les préparatifs reprirent de plus belle.
Nous avons déjà écrit que l'époque
choisie n'avait pas une grande importance, l'essentiel étant
de faire revivre une cours baronnale, mais nous nous apercevons que
les costumes alternent toujours entre Louis XIII et Louis XV ;
pourquoi ? Tout simplement parce qu'il sont très
différents et très caractéristiques. Dans
l'esprit populaire, la première époque évoque
« les fiers mousquetaires », la deuxième
évoque « les beaux marquis ». Mais mis à
part les costumes, les festivités furent la copie conforme
du Carri précédent.
Le même seigneur : Jean Marcel avec son page, Jean-Louis
Montagard.
Le seigneur des escargots Conil Marc avait, lui, changé de
page, il prit cette année_là Jean-Pierre Saurel, qui
deviendra, longtemps après l'abbé Saurel.
Le seigneur des hannetons était changé lui aussi.
Pour tenir cette place, nous trouvons Payan Fernand avec pour page
son fils Gérard.
Le porte-drapeau fut un nouveau venu, Bertrand Albert.
Dans les visiteurs de flasques, Jouve Julien remplaça
Maurizot Louis, quand au gros de la troupe il resta à peu
près le même.
Le défilé, la messe, le repas, les discours, le
retour : tout fut très bien, mais on sentit transpirer du
regret, de l'amertume. Personne ne disait le fond de sa
pensée, mais chacun en était convaincu :
On vivait le dernier des « Carri ». L'époque
moderne, la technique, la nouvelle mentalité des foules,
tout contribuait à faire croire « qué lou
bèu Carri dé Mazan avié viscu »,que le
beau Carri de Mazan avez vécu. Cela faillit être vrai.
Les années passaient. Bien sûr, les Mazanais d'origine
parlaient quelquefois du Carri, mais les nouveaux habitants de
notre village, que savaient-ils de nos traditions ? Comment
recevraient-ils cet héritage qui n'était pas celui de
leurs ancêtres ?